Rendez-vous
avec Valérie Troisier

Une rencontre dans le cadre du cycle des « Conversations d’Agnès », événement culturel depuis 2016 à l’Hôtel de Paris Saint-Tropez.

Saint-Tropez, le 7 août 2024 

Valérie Troisier, petite-fille de Jean Troisier, Le grand amour de Marie Bonaparte : Cadeau ou Fardeau 

Marie Bonaparte : un destin entre l’Histoire et la Plage des Salins.

À l’heure où le prestigieux Festival des Nuits du Château de la Moutte ouvre ses portes, nous recevons Valérie Troisier, dont l’arrière-grand-père fut Emile Ollivier, ministre de Napoléon lll et propriétaire de cette sublime propriété dans laquelle l’auteur vint dès son plus jeune âge. Sa grand-mère, Geneviève, fille d’Emile Ollivier et épouse de Jean Troisier, fut l’amie historique de Marie Bonaparte, la dernière des Bonaparte que connu brièvement Valérie qui explique dans son introduction : « Elle m’a pris dans ses bras quand j’avais un an. Elle est décédée quand j’en avais deux ». Pour autant, c’est toute une mythologie familiale dont hérita Valérie Troisier, journaliste, comédienne et auteur de ce premier livre passionnant : « Marie Bonaparte, la conquête du plaisir » paru aux éditions Tallandier en octobre dernier.

Une mythologie faite d’un secret de taille puisque Jean Troisier (père d’Annette, Solange et Olivier et grand-père de l’auteur) fut la plus belle histoire d’amour de Marie Bonaparte. Une histoire secrète, une histoire de vingt-cinq ans, révélée en 1982 dans une première biographie consacrée à ce personnage hautement romanesque qui avait pourtant pris soin de mettre ses archives sous embargo jusqu’en 2020. C’est dans ses archives que Valérie Troisier a puisé (trois ans de recherches) pour nous livrer un livre personnel et légitime, retraçant le parcours inouï de celle qui fut la Première à introduire la Psychanalyse en France et à parler du plaisir féminin, jusqu’à en percer tous les mystères qu’ils soient anatomiques ou psychologiques.

Petite fille orpheline de sa chère mère à un mois, riche car elle hérita de la fortune maternelle (faite dans les casinos et les jeux d’argent) mais seule car dotée d’un père indifférent et fou de botanique. Isolée, car estampillée tuberculeuse dès son plus jeune âge, contrôlée par sa grand-mère autoritaire et phallique qui pris la place de sa mère, l’amour en moins, abusée par le secrétaire de son père, un corse vil et viril, puis délaissée par un mari homosexuel, Le prince de Grèce et du Danemark (que lui avait choisi son père), lui-même follement épris de son oncle, le prince Valdemar. Privée d’études (à cause de son rang) alors qu’elle avait très jeune et pour attirer l’attention de son père investit une vie intellectuelle, elle aurait pu subir un destin tragique, fait de bals et de solitude.

Il n’en fut rien, très tôt elle se mit à consigner sa vie par écrit dans ce qu’elle intitula « Ses bêtises » prenant ainsi le recul et la force nécessaires, carnets qui seront le matériau de son analyse, très vite elle se trouva des mentors et des maitres, voir des pères de substitution parmi lesquels le Père de la psychanalyse, Sigmund Freud, dont elle fut la patiente, puis la traductrice, la disciple et la salvatrice au moment où les allemands envahirent Vienne et qu’il fut urgent d’exfiltrer ce barbu génial. Ce qu’elle fit, l’aidant à introduire la psychanalyse en France, à créer la première société de psychanalyse de Paris, à diffuser sa pensée « Freud m’a dit… » fut d’ailleurs son surnom, à entreprendre des travaux novateurs sur le plaisir féminin, bousculant l’ordre (patriarcal) établi et l’ignorance commode de l’époque (le clitoris était un pénis rentré et non une source de plaisir tant le vagin avait la primeur dans l’ordre masculin). Soit. Marie, déterminée (c’est une Napoléon !) étudia en 1924 pas moins de 200 clitoris avec une gynécologie arrivant à des conclusions scientifiques peut-être un peu hasardeuses mais qui ont eu le mérite de mettre le sujet sur la table.

Une révolution à l’époque !

Son amitié avec Geneviève Troisier (et consorts) et sa découverte des charmes ensorceleurs de la Moutte la conduisirent à construire, dans les années 30, le fameux « Lys de Mer » que l’on aperçoit en bordure de la Plage des Salins, superbe maison immaculée dans le style Mallet-Stevens dans laquelle elle coula des jours heureux jusqu’à sa mort en 1962 et après avoir pris – y compris au moment où la leucémie dont elle mourut l’obligea à se faire porter – des bains de mer trois fois par jour, un rituel qu’elle n’aurait raté pour rien au monde.

Sa quête du plaisir, le sous-titre du livre, fut l’histoire de sa vie. Une vie marquée dès son plus jeune âge par la scène primitive à laquelle elle assista par la négligence de nounous troussées sous ses yeux alors qu’elle était trop jeune pour comprendre, la marquant à son insu jusqu’à lui « clore les lèvres ». Valérie Troisier, par sa plume alerte, et son lien étroit avec ce personnage hors-norme, généreux et solaire malgré tout, fantasque mais accomplissant son devoir de Princesse jusqu’au bout, proche de son mari auquel elle pardonna son homosexualité et de sa meilleure amie qui ignora tout de cette histoire d’amour (avec son mari) réhabilite cette amazone ultra moderne, engagée et fidèle dont l’ombre se glisse, le soir venu, entre les arbres centenaires de la plus belle palmeraie de Saint-Tropez…

Agnès Bouquet

« Marie Bonaparte, la conquête du plaisir », Valérie Troisier, Éditions Tallandier.

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