Rendez-vous
avec Denis Westhoff

Une rencontre dans le cadre du cycle des « Conversations d’Agnès », événement culturel depuis 2016 à l’Hôtel de Paris Saint-Tropez.

Saint-Tropez, le 21 juillet 2024 

Denis Westhoff, Fils de Françoise Sagan : Cadeau ou Fardeau ?

« Cadeau, carrément ! »

Il est son portrait craché, ou disons mieux ravalé tant il a intériorisé la mère au point de lui ressembler comme deux gouttes d’eau. Même visage chafouin, mêmes cheveux ébouriffés, même regard scrutateur et un brin méfiant, même phrasé réservé et précis, même sourire ouvrant à cette gentillesse de l’âme dont Proust disait : « le comble de l’intelligence, c’est la bonté ». Car Françoise Sagan, qualifiée de « charmant petit monstre » par François Mauriac à la sortie de son livre au succès planétaire – « Bonjour tristesse » en 1954 – avait certes cette espièglerie, cette extra-lucidité sur la comédie humaine, cette conscience de la complexité des sentiments humains, mais a toujours fait montre d’une profonde gentillesse, d’une générosité à nulle autre pareille, d’une curiosité de l’autre et d’une absence de jugement qui signait cette élégance de l’âme aujourd’hui incarnée par son fils unique Denis Westhoff.

Un fils qu’elle a eu avec Bob Westhoff en 1962, qu’elle a élevé avec lui pendant neuf ans, qu’elle a embarqué dans sa vie d’écrivain, de journaliste, de femme de théâtre, de cinéma et de chansons, de femme engagée, bref dans toutes ses vies, ses familles de hasard, ses bandes, ses déménagements, ses voyages (Venise, New-York, la Grèce, Bruges…) ses lieux de villégiature dont Saint-Tropez qu’elle fréquenta de 1955 à 1960, y louant sa première maison dans les Parcs, puis à La Ponche, y écrivant entre autre « La Chamade » alors que Denis jouait en culotte courte tandis qu’elle tapait sur sa machine à écrire, le nez au vent, les yeux dans le bleu du ciel.

Sagan dont Bardot disait qu’elle était sa jumelle, sa jumelle de célébrité et de journalistes traqueurs, mais aussi sa jumelle de grandes tablées, d’amitiés solides, de fêtes et de partages. Fascination réciproque des deux femmes. À l’une la beauté, à l’autre l’intelligence, mais est-ce si simple ? « Non » répond Denis dans un sourire amusé, sachant que sa mère avait cette beauté qu’on appelle le charme et Bardot cette intelligence animale qui fit d’elle une grande.

Ayant droit de l’œuvre de sa mère depuis 2004, date où le charmant petit monstre rejoignit des contrées inconnues, Denis abandonna son métier de photographe pour se consacrer à cet héritage moral, artistique, sentimental et à son rayonnement. Auteur de deux livres sensibles et très autobiographiques Sagan et fils (Stock) et Françoise Sagan, ma mère (Flammarion) il nous revient avec un livre magnifique : Les Années Sagan (Gourcuff) et différent à savoir un livre qui dévoile, deux cent photos à l’appui, toutes les facettes et les passions de Sagan et, pour une fois, pas les scandaleuses, mais les solaires, les multiples : le théâtre, le jazz, le journalisme, les engagements politiques, les amitiés, l’amour, la vitesse c’est-à-dire tout ce qui a compté pour elle dont ce mariage avec Bob Westhoff dont il est le fruit. Le fruit heureux et sensible qui aime le calme, la campagne, l’humour, l’amour, mais la solitude aussi. « Meilleur fils que père » confie-t-il, il est à la tête de trois enfants âgés de cinq à vingt-huit ans, il dédie d’ailleurs ce nouveau livre à son fils Arthur, le petit dernier. Et se félicite d’avoir accepté cet héritage qui se chiffrait alors à un million de dettes !
Quatorze ans plus tard, il finit de rembourser une à une, les six trésoreries demandeuses !

De sa mère cigale il dit qu’elle a été une bonne mère, aimante, attentive, curieuse, qui lui a offert une éducation structurée et libre, une éducation qui l’a plongé dans un monde d’adulte très vite et de conversations pleines d’envie, de désir, d’ouverture. Une mère inattendue, une mère aux amours protecteurs comme celui que lui porta Peggy Roche – « le grand amour de ma mère » mais aussi une mère aux influences plus néfastes. Qui précipitèrent sa chute.

Une mère dont l’œuvre – une vingtaine de livres, trois recueil de nouvelles, neuf pièces de théâtre, une vingtaine de chansons, des scénarios (Landru) – est formidablement vivante, soutenue par une association de saganophiles, l’Association Françoise Sagan, un Prix littéraire du même nom, des rééditions, des inédits, des collaborations avec le cinéma, des expositions, des conférences, des dates anniversaires dont celle que nous célébrons cette année : les soixante dix ans de « Bonjour, Tristesse » qui marquent le début des Années Sagan.
Des années éprises de liberté, de joie de vivre et de tolérance.
Des années rêvées et vécues, dont son fils fut le témoin privilégié.

Agnès Bouquet

« Les années Sagan », Denis Westhoff, Éditions Gourcuff.

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